Ingrid Betancourt : Une femme libre

29 octobre 2014

ingrid betancourt

Rencontre. Six ans se sont écoulés depuis sa libération très médiatisée. Depuis, Ingrid Betancourt poursuit des études de théologie et vient de publier son premier roman La Ligne bleue, sur l’Argentine.

Propos recueillis par Emmanuel Querry.

L’histoire nous transporte à Buenos Aires dans les années soiante-dix. Julia et Théo, un couple idéaliste investi dans la cause révolutionnaire, sont capturés par les « escadrons de la mort ». Détention, violence, absence d’avenir et malgré tout espérance : ce livre inspiré de la terrible réalité fait également écho à sa propre histoire, lorsqu’elle fut enlevée le 23 février 2002.

Qu’est-ce qui a vous amenée à écrire ce roman ?

Au cours de mes lectures, j’ai découvert les « Prêtres pour le tiers monde », qui se sont rebellés contre la dictature argentine. Parmi eux, le père Carlos Mugica qui m’a absolument fasciné. Puis, en vacances en Australie, une Argentine m’a abordée. Elle avait fait partie du mouvement de guérilla des Montoneros, dont les « Prêtres pour le Tiers Monde » avaient été les guides spirituels. Cela m’a décidée à faire connaître l’ampleur de cette confrontation. Toute une génération, 30 000 jeunes, ont été éliminés, c’est un véritable génocide !

Contre ce régime, des chrétiens ont lutté pacifiquement, d’autres ont répondu par la violence…

Oui, cela m’a beaucoup interpellée. Il y avait des jeunes qui avec la même foi et le même engagement politique que moi contre l’injustice sociale et pour la dignité humaine en sont arrivés à la violence, ce qui pour moi n’a jamais été et ne sera jamais le cas. Je voulais d’ailleurs réfléchir sur ces choix qui font que certains deviennent des héros, d’autres des bourreaux.

Justement, vous qui avez connu la captivité, éprouvez-vous vis-à-vis de vos bourreaux un sentiment de vengeance ou êtes-vous dans le pardon complet ?

Votre question est intéressante, car effectivement il y a plusieurs niveaux. Concernant le niveau rationnel, ça a été une décision prise très tôt : je ne voulais pas être prisonnière de la haine ni de la violence. Quant aux sentiments, ils mettent du temps à s’aligner sur un choix rationnel. Même encore aujourd’hui, j’ai un exercice à faire pour reprendre mes émotions en main, parce que de temps en temps elles m’échappent.

Six années vous ont été confisquées, comment se réinstalle-t-on dans le présent ?

Il faut réussir à vivre dans le présent, à nous affairer à une conscience du présent, pour nous libérer des entraves du passé. Il faut essayer de vivre intensément dans le présent avec une vocation de gratitude, cette qualité spirituelle qui nous permet de vivre le présent en étant conscients de notre dignité, de la présence divine en nous.

L’espérance a été un facteur déterminant pour vous permettre de rester en vie. Est-ce votre foi qui en a été le socle ?

Oui, je crois que l’espérance est une communication avec Dieu. On ne peut pas avoir de l’espérance sans foi. Peut-être qu’une définition de la foi, c’est l’espérance. Et l’espérance, c’est cette certitude qui nous plonge dans le futur et nous donne une tranquillité de savoir qu’on est entre de bonnes mains.

Arrivez-vous à transmettre cette foi à vos enfants ?

C’est très dur de transmettre à ses enfants. Quand je parle de foi j’ai toujours une espèce de gêne. La foi nous met totalement à nu. La relation qu’on a avec Dieu est tellement intime. La foi, c’est vraiment le boulot de Dieu. Il trouvera son moyen et il viendra les chercher comme il est venu me chercher.

Lors de votre détention vous avez redécouvert la Bible…

Il faut quand même que je vous dise que je n’avais jamais lu la Bible avant. Pour moi ça a été véritablement une découverte.

À qui appartenait-elle ?

Je l’avais demandée comme on lance une bouteille à la mer et on me l’a apportée. C’était un gros cadeau, car c’était le seul livre que j’avais.

Et qu’y avez-vous trouvé ?

Au départ, je la lisais un peu par désœuvrement face au profond ennui qu’a été ma captivité. Puis je l’ai relue. Peu à peu cela faisait écho à ma situation : violence, manque de respect pour la dignité humaine, manque de respect pour la liberté, ma liberté personnelle. Quand le Christ dit : « Je suis venu pour vous libérer », c’était important pour moi. Elle a été un très beau compagnon de route. J’avais quelqu’un avec qui discuter.

À ce moment-là, y a-t-il eu des prières que vous avez prononcées ?

Le Magnificat (la prière de la Vierge Marie, ndlr). Ce texte est d’une richesse extraordinaire. Je l’ai véritablement découvert en lisant le Nouveau Testament (Luc 1, 46–56, ndlr). Je l’ai appris par cœur, car j’avais peur de perdre le livre ou qu’on me l’enlève. Cette relation avec Marie m’a transformée, car j’ai compris que c’était une femme politique – ça peut paraître étrange, mais elle a une réflexion politique. À partir de là, j’ai essayé de la suivre. J’ai un lien très fort avec Marie.

Votre père était très croyant. Est-ce que dans ce chemin de foi vous avez l’impression de vous être rapproché de lui ?

Papa était un homme très croyant qui était dans l’angoisse que ses filles n’aient pas la foi. On avait de véritables batailles parce que je contredisais systématiquement tout ce qu’il pouvait nous dire, j’étais très rebelle. Évidemment, aujourd’hui je me sens très proche de papa. Parfois je ris en me disant : « Si papa était là, il serait ravi que je fasse de la théologie. » Il doit me voir et en rire.

Justement, d’où vous est venue cette volonté d’étudier la théologie à Oxford ? Pendant ma détention, la Bible me racontait des choses qui m’obligeaient à penser. D’où mon envie de faire de la théologie, car il fallait que je comprenne. Je ne pouvais pas décoller toute seule. Après une introduction à la théologie, j’ai suivi un master en doctrine moderne, et maintenant, je suis en première année de doctorat. Il m’en reste deux pour écrire ma thèse, qui porte sur la théologie de la libération, évoquée dans mon roman.

Si vous aviez un message spirituel à lancer aux personnes qui sont éloignées de la foi, quel serait-il ? Il faut être honnête avec soi-même pour pouvoir être spirituel. C’est plus facile de nier que de se dire qu’il y a un monde invisible. Et ce monde invisible, c’est justement la présence de Dieu. Mais je crois que chacun doit faire son chemin. J’ai une confiance absolue. Il y a toujours quelqu’un qui tape à notre porte. On est dans la liberté de l’ouvrir ou de la fermer.

Depuis votre libération, est-ce qu’il y a encore ce flux de personnes qui vous écrivent et vous encouragent ? Tous les jours j’ai quelqu’un qui s’approche pour m’embrasser. Tous les jours ! Que je sois n’importe où dans le monde… C’est quelque chose de direct, de très émotionnel, c’est très beau. C’est un grand trésor que j’ai là. Je vis dans la gratitude.

Exergue : « C’est plus facile de nier que de se dire qu’il y a un monde invisible »

 

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