Éric-Emmanuel Schmitt : « Irradié par la foi »

7 novembre 2013

eric emmanuel schmitt

Rencontre. L’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt place l’amour et l’humain au cœur de ses œuvres. Un don qui lui vient de la révélation du mystère de Dieu, puis de sa conversion au christianisme.     

Propos recueillis par Emmanuel Querry

« J’ai été incendié par la foi, irradié, pénétré par une force tellement plus grande que moi que je ne pouvais pas en être l’auteur »

Dans votre nouveau roman, Les Perroquets de la place d’Arezzo (Albin Michel), l’intrigue commence par une lettre. Deux petites phrases, pleines de promesse, y sont inscrites : « Ce mot simplement pour te signaler que je t’aime. Signé tu sais qui. » Une lettre d’amour, anonyme. Sauf que plusieurs protagonistes la reçoivent et spéculent sur son auteur. Hasard ? Erreur ? Farce ? Si elle est sincère, on aimerait tous en être l’heureux destinataire. D’où vous est venue cette idée ?

Au départ, c’est très anecdotique. Un jour, j’ai voulu envoyer un mot d’amour non signé et au moment où j’allais le mettre dans l’enveloppe, je me suis rendu compte que la personne qui allait le recevoir allait peut-être interpréter l’anonymat d’une façon catastrophique pour moi, en se précipitant sur quelqu’un d’autre. Donc je me suis rendu compte que c’était dangereux. Et puis surtout, d’une manière générale, je trouve que l’amour est révolutionnaire, l’amour est dérangeant…

Pourquoi l’amour est-il dérangeant ? 

Tout le monde prétend vouloir aimer et être aimé et en fait très peu de gens s’y livrent. À partir du moment où on s’abandonne à l’amour, où on consent à aimer, on perd la maîtrise de sa vie. Cette double rupture est un danger et inenvisageable pour certains. Pour d’autres, c’est la seule aventure qui mérite d’être vécue. Donc je voulais montrer la diversité des réactions à un mot d’amour.

Certains des personnages sont torturés par ce qu’ils nomment amour, et sont parfois esclaves de leur sexualité. Le tableau est-il aussi tragique dans la réalité ? 

Vous savez je suis un grand amoureux de Diderot et il y a dans ce livre cette volonté de représenter, d’une façon un peu romanesque, une encyclopédie des façons d’aimer ou de ne pas aimer. Ce qui fait que parfois le marginal occupe autant de place que le majoritaire. On est aujourd’hui dans une époque du « tout sexuel ». Il y a une injonction qui est faite à l’individu d’être performant dans sa vie sexuelle. Et moi je réagis contre cela. Un de mes personnages, qui se nomme Ludovic, a très peu d’exigences de sa libido et souffre au fond d’être dans une époque où on le considère comme un cas pathologique. Sa mère et ses amis pensent qu’être vierge ou chaste à 28 ans, c’est une tare, alors que d’autres époques auraient vu cette chasteté comme une vertu, voire comme une forme de piété. Il y a d’autres personnages qui vont arriver à l’amour par le désir. Et puis il y a des êtres qui ne vont jamais arriver à l’amour à cause de la sexualité, parce qu’au lieu que le désir soit une rampe d’accès, la sexualité devient un mur qui les empêche. Je pense que l’amour est parfois perverti par la sexualité.

Vous étiez athée et vous êtes devenu croyant, comment cela s’est-il passé ? 

C’était lors d’un voyage dans le désert du Hoggar au Sahara. Nous étions une dizaine à marcher pendant quinze jours. Et un jour, je me suis perdu en faisant l’ascension du mont Tahat. J’avançais comme un dératé. C’est comme si j’avais rendez-vous avec ma perte. La nuit est tombée, il n’y avait personne autour de moi, j’appelais et personne ne répondait, je n’avais rien à boire, rien à manger. J’ai passé plus de trente heures seul et perdu dans le désert. Cette nuit-là, qui aurait dû être une nuit de peur et d’angoisse, a été au contraire une nuit qui m’a donné une confiance absolue dans la vie et dans le mystère de la condition humaine. Une nuit mystique, « une nuit de feu », comme disait Pascal. J’ai été incendié par la foi, irradié, pénétré par une force tellement plus grande que moi que je ne pouvais pas en être l’auteur. Le lendemain, le guide Touareg m’a aperçu et est venu à mon secours. J’ai gardé ce secret qui faisait de moi un croyant.

À ce moment-là, qu’est ce qui a changé dans votre vie ?

J’ai troqué l’angoisse contre la confiance dans le mystère. J’ai surtout compris que les limites de ma compréhension étaient les limites de mon esprit, pas les limites du monde. Il y a quelque chose de très prétentieux à croire que tout est absurde. C’est confondre les limites de son esprit avec les limites de l’univers.

Quand vous êtes-vous dit : « Je suis chrétien » ? 

Plusieurs années après, j’ai lu les quatre Évangiles en une nuit, et là, ça a été de nouveau une immense émotion : c’est-à-dire que cette mise en avant de l’amour, cette promotion de l’amour comme valeur principale m’a bouleversé, vraiment. À partir de là, je me suis mis à étudier le christianisme, vraiment à l’étudier, de manière érudite, y compris dans ses contradicteurs. Et au bout de plusieurs années, à la question : « Jésus est-il le Fils de Dieu ? » j’ai répondu « oui ». « Y a-t-il eu résurrection », j’ai répondu « oui ». Et je suis devenu chrétien.

On est dans le temps de la Toussaint et du jour de prière pour les défunts, quel rapport entretenez-vous avec la mort et avec les morts ? 

J’ai une grande confiance dans la mort autant que dans la vie. Je ne sais rien de la mort, mais je sens que c’est une bonne surprise. Je pense qu’avec le cadeau de la mort on a reçu le cadeau de la vie. La mort n’est surtout pas une punition. Après, cela relève vraiment de l’intime, cette confiance dans la mort. Il y a des choses que je n’ose pas raconter. Peut-être qu’un jour je le ferai. Mais pour moi, l’entrée dans la mort, c’est l’entrée dans quelque chose, ce n’est pas l’entrée dans le néant. J’en ai le pressentiment, et parfois le signe. Ayant perdu mon père il y a un peu plus d’un an, la communion et la prière pour les défunts sont quelque chose qui maintenant rentre dans ma vie. Mais je suis saisi de vertige quand j’y pense.

Quel est le saint ou la figure de foi que vous admirez ? 

Charles de Foucauld. « Ce chrétien converti qui ne veut convertir personne. » Cette figure est un flambeau dans ma vie.

Depuis la parution de L’Évangile selon Pilate en 2000, vous dites que vous avez reçu des lettres bouleversantes ?

J’ai reçu des témoignages merveilleux, d’abord d’athées qui m’ont dit : « Je suis troublé pour la première fois dans mon athéisme. » Et puis de gens qui me disaient : « La lecture de votre livre a été l’occasion d’un retour à la foi. » C’est le comble du bonheur ! Je me dis : je rends en partie ce que j’ai reçu. Pour un être spirituel comme moi, ça me bouleverse !

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